Au siècle passé et sans doute même avant, on appelait ça un jardin de curé, un mouchoir de poche. Aujourd´hui les curés sont devenus denrée rare et vivent en appartement. Le cardinal de Salvador a vendu sa belle maison coloniale du Campo Grande á une multinationale qui a, sans l´ombre d´un remords, saccagé le grand parc pour faire un abominable immeuble de vingt étages, plein de chromes et de marbres, et á Anvers une dame suisse aux chapeaux extravagants occupe les fameux jardins de l´archevêché.
Quant aux mouchoirs de poche, il y a longtemps qu´on les a heureusement, hygiéniquement, remplacés par des bouts de papier. Mon jardin, donc? Quatorze mètres de large par vingt de long.
Pas beaucoup, mais tout de même, c´est en pleine ville... Quelques espaliers permettent aux pluies diluviennes de garder les eaux en sous-sol, sans drainer la terre et menacer le versant abrupt qui m´appartient aussi mais est zone non aedificandi. J´y ai tout de même planté deux flamboyants et des bambous. Au bas, le port. Au loin, les îles...
Certains considèrent que le modeste théâtre de verdure construit sur les plans de l´ami Serge est nababéen (nababesque, nababique?). Pourtant ce ne sont que quatre marches d´escalier en demi cercle enfermant une petite scène oú viennent parfois jouer d´autres amis, surtout des musiciens. Peuvent s´y assoir quatre-vingt personnes. Debussy, Bach, Vila-Lobos y convivent avec des rythmes de samba et de chorinho, cette délicieuse musique surannée sur laquelle autrefois dansaient jeunes dames et jolies esclaves. Le fond de scène est bordé par quatre colonnes surmontées de têtes grotesques en céramique d´Eckenberger. Elles donnent á l´ensemble des airs de baroque italien
Mon jardin s´approche en traversant un miroir. Celui des eaux tranquilles de la baie de Salvador. Lá, tout n´est que fleurs et verdure, fruits, gazon et dogues français.
Les quatre variétés de bougainvilliers dialoguent avec les quatre ibiscus, rouge, rose, blanc et jaune, á doubles pétales, que les oiseaux-mouche apprécient tant. Un jeune palmier impérial, solennel et d´une lenteur exaspérante á croître, ignore l´autre palmier, un tout-fou que les locaux appellent rabo de peixe, queue de poisson, á cause de ses drôles de feuilles.
Mais les trésors sont les quelques arbres fruitiers que je dispute aux oiseaux, bataille trop souvent perdue par moi. Quelles en sont les appellations françaises? Auncune idée. Peut-être un jour, un lecteur...
Mais començons par le plus simple. Le plus simple á pousser, s´entend. Ce sont mes papayers qui poussent comme du chiendent et font des papayes, bien sûr, mais qu´on nomme ici mamao. Allez savoir pourquoi...
Il n´y a qu´un arbre de acerola mais il est en production permanente. Les saisons, y connait pas! Un seul de ces petits fruits rouges, gros comme une cerise, a autant de vitamine C que cent oranges! Vous vous rendez compte?! J´en fais des jus et me sens immédiatement une vigueur d´adolescent... Ou du moins je m´en persuade.
D´autres fruits, rouges eux aussi, et eux aussi gros comme des cerises, les pitangas, á l´élégante allure d´une gourde ottomane, avec ses fines tranches apparentes, sont sans nul doute mes préférés. Mais lá, la production est rare, maigre et par beaucoup convoîtée. Entre autres par Pucky et Rodin mes deux chiens, qui renifflent au pied des arbres comme des cochons, les truffes. J´en fais de savoureuses confitures.
Un seul me donne du souci en même temps que ses graviolas. Malingre, avec des airs permanents de victime d´automne, saison pourtant inconnue sous mes tropiques. Des feuilles jaunissantes et tristes s´en détachent chaque jour, comme pour me dire “Regarde, j´agonise.” Pourtant, bon mois, mal mois, il me donne de gros fruits verts qui ressemblent á d´étranges hérissons. La chaire blanche, parfumée, est semée de noirs noyaux luisants. Et pour en finir avec mon garde-manger idyllique, il y a les bananiers. Oh! Pas nombreux, mais quand enfin arrive le temps de couper cet énorme et quelque peu phallique régime, il me faudra inventer des compotes, jus – avec du lait - et desserts, sans compter que Marta, Flávio et Edivaldo auront de quoi se flanquer une bonne indisgestion.
Lorsque des visiteurs demandent á connaitre la maison, je suggère toujours de venir en fin d´aprés-midi, pour profiter du coucher de soleil sous le kiosque que j´ai voulu vaguement chinoisant.
C´est l´heure exquise / qui nous grise / lentement, des décadentes couleurs du couchant baudelairien. Volent les premières chauves-souris, les dernières hirondelles. Telle une barque prête pour Cytère, un bout de lune danse dans le ciel maintenant violet.
Voilá, je crois vous avoir presque tout dit de mon jardin.
Dimitri Ganzelevitch Salvador,
10 août 2009.
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