Ah! Ça suffit! Vous avez, cher mooonsieur, réussi á m´agacer. Ben c´est vrai. Je suis le nombril du monde. Tout tourne autour de moi. Allons, soyezonète, vous êtes exactement comme moi. Ça a commencé avec votre premier pleur et finira avec votre dernier soupir. Rédibitoire! Quoi que le peintre fasse, c´est toujours de lui qu´il parle. Le musicien, l´architecte c´est du kif-kif. Le poête, alors, n´en parlons pas! Et pluzon voit venir le bout de la route, pluzon a envie de faire le point, de s´expliquer et, pourquoi pas, de se vanter un peu, de se faire plus beau que nature. Maintenant je suis pressé de dire aux foules en délire l´être exceptionnel que j´étais et que vous avez raté ou mal jugé. Arrive donc l´âge de regarder derrière soi, faire un bilan. Jamais définitif, car chaque jour apporte un nouveau regard sur ce qui a pourtant été mille fois vu et revu.
Je suis né - comme tout le monde, me direz-vous três justement - produit de deux familles et ainsi ai passé mon enfance, vaguement tiraillé entre deux éducations et deux religions, la papiste et la huguenote. Ça complique la jugeotte, mais ça aide á être plus indépendant, puisque les vérités cessent d´être premières. On apprend vite que tout est relatif. La guerre, la séparation de mes parents, ont fait de moi un enfant, puis un adulte jamais totalement intégré á aucun groupe affectif ou social.
Des années de guerre je retiens les longues marches depuis Moujaidine-la-cambrousse au centre de Tanger, une sacrée trotte, Grand´Maman, demi talons, vêtue de noir á draperies, bible á la main, voilette et oiseau empaillé sur un canotier défraîchi. Annette avait été Grand Prix du Consevatoire de Paris et allait présentement taper sur l´ harmonium du temple protestant des musiquettes sans esprit. Cette anglaise qui le parlait bien mal, m´enfonçait chaque soir dans le crâne quelques pages de la Bible – Non, ça, ce n´est pas intéressant, passons – et m´injectait des overdoses de fierté, vous vous rendez compte, descendre du poête Thomas Moore?! Jamais rien lu, sorry. De ma grand´mère maternelle qui parlait peu, trimait toute la journée sur sa Singer et ne mettait jamais les pieds á la messe, sauf pour un mariage de proche parent, je savais son père marquis. Son passeport de jeune-fille était rédigé “Renée Marcelle de Bailleul, de Croissanville et sept autres lieux...”. Je n´ai jamais su lesquels. Quand ou est affligé de deux pareils prénoms, on n´aura jamais de chance dans la vie. Ce fut le cas.
Vins á Lisbonne avec ma mère et son presque mari portugais, un peu facho. Le temps de commencer á voler de mes propres ailes. Le maigre Antônio Lopes Ribeiro – tapez Google - intellectuel, poête et cinéaste, remplaça en fumant trois paquets par jour un père oublieux autant qu´oublié. Je fus rapidement introduit dans des cercles gravitant autour d´illustres exilés et bientôt reçu aux dîners intimes de la Casa Yantra , - plus tard invité même par la reine Giovanna de Bulgarie, qui m´offrit Miro, mon premier bouledogue français, á y loger lors de mes passages au Portugal, honneur que j´esquivais - et grands déjeuners cérémonieux á la Villa Itália d´oú le roi Umberto contemplait les violences de l´océan, passai un long séjour á Athênes chez Marina et Michel de Grêce, oncle de Con-Constantin, connus le taciturne Juanito bien avant qu´il ne devienne Juan Carlos, prince des Asturies et roi d´Espagne. C´est ma période “Points de vue/Images du Monde”. Je jonglais avec les couronnes fermées et les couronnes ouvertes. Du chevalier au grand-duc, le Gotha á ma portée. De três belles sultanes ottomanes me promenèrent sur le Bosphore, conversations aimables et sans arêtes, moi toujours gaffeur, et merci pour la délicieuse soirée que nous avons passée. Vous pouvez sourire. Oui, j´étais futile et faisais le paon. Si, pendant ces années ronds-de-jambes, je n´ai que trop rarement rencontré des gens remarquables d´intelligence et de culture, sauf Siméon de Bulgarie, lui vraiment exceptionnel, en revanche, j´ai appris á me comporter dans les salons. Toujours ça d´pris.
La vie est faite de chapitres qui ne se ressemblent pas obligatoirement et semblent souvent appartenir á un autre roman. Je commençais á zieuter en arrière côté roots, loin des légendes familiales, origines qui intriguaient si souvent mes interlocuteurs. Oui, je suis un curieux mélange. Il y a du français, du russe, du suisse, anglais, italien et même, j´em suis três fier, du mongol... Des allusions vite oubliées, des coïncidences, des similitudes... Le doute s´installa. Mais voyons, entre nous, ce nom de Ganzelevitch, qui nous vient de Tomsk-Sibérie, ça a tout de même un sacré p´tit air juif, vous ne trouvez pas, darling? Tempête familiale lorsque j´émis cette dangereuse hipothêse. Nous, des youpins? La cuisse de Jupiter s´insurgea. Je devins la brebis galeuse, celui qui ose contester les vérités radicalement absolues. L´oncle Boris, justement celui qui avait le nez le plus... affirmatif, me raya de son héritage. Dommage, cet appartement parisien m´aurait été vachement pratique... Mais je suis têtu et, croyez-moi, c´est là mon moindre défaut. Les autres sont plus pires. Mon grand´père Yasha avait sur ses papiers pré-bolcheviques le prénom révélateur de Yakof et sa mère s´appelait joliment Raissa. Du côté de la mienne de mère? Et bien, il y a lá aussi une belle famille Bernard bien bourgeois-cossu qui, malgré son esprit catho bon ton, sent aussi ses origines marrones.
Soyons honnêtes, au début, ça m´a donné le tournis. Keskejalé foutre avec ce cadavre longuement emmuré et découvert par l´ouvrier maladroit qui vous écrit présentement? Bon, mon coco, respire un coup... on s´calme. Vediamo. Récapitulons: Il y a dans mes veines un peu du chevalier de Bailleul, mort il y a dix siècles á la première croisade, un peu du sang du copain de Byron, du chocolatier suisse Peter, fâmeux avec le copain Cailler au XIXième. Peter et Caillé finiront dans la gueule de Nestlé. Mezancore: d´un mystérieux comte protestant Augier, réfugié á Gênes, qui a guerroyé aux flancs de Garibaldi – j´ai encore un billet de Giuseppe, ce qui me devrait la reconnaissance éternelle des Savoie, mais Vittorio le Dingue s´en fout - et, ne le répétez pas, une pinte de ce liquide aussi rouge que les autres qui a donné Chaplin, Einstein, Stravinsky, Freud, Sarah Bernhardt et Marcel Proust. Pas dégeulasse, le cocktail, trouvez pas?! Alors, Mooonsieur du Plumet, ça ne vaut pas, largement, le bleu cobalt des von Braun, Bohlen, Le Pen, Ribbentrop, Pétain et autres ariano-slaves responsables de pogroms et autres drôlatiques immondices de l´Histoire?
Mon gentil et calme grand-père Yasha-Yakof, juif ou pas, sibérien comme Raspoutine, mais en rien diabolique, et qui adorait l´opéra, a tout de même construit une bonne tranche du transsibérien. N´est-ce pas une sacrément belle couronne, une neigeuse couronne ouverte aux vents changeants?
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