La voiture glisse entre de sages collines semées de blé, ponctuées
d´oliviers. Lumière de printemps, dorée, transparente. Souligne chaque angle,
précise chaque détail. L´Alentejo est sans doute la partie du Portugal que je
préfère. Piero della Francesca n´est pas loin. Aprés Estremoz, oú j´ai écumé
toutes les boutiques de souvenirs á la recherche d´une de ces crêches qui
faisaient mon enchantement de jeune citadin lassé par les chefs-d´oeuvres
obligatoires des grands musées, nous passons la frontière.
Insensiblement, le paysage se fait
moins intimiste. Les espaces se sont agrandis. Même sans le taureau Domecq, ça
sent bien, ça sent bon l´Espagne. Les routes ont changé, depuis mon
adolescence! Fini les pistes poussiéreuses, les nids-de-poules, les renversants
virages, les infinis oú nous naviguions, perdus sous un soleil de plomb, sans
la moindre indication. Sans doute aussi, balayés les tascas chaulées, vin blanc
et jamon serrano, silencieux paysans aux ongles noirs. Postes á essence. Le
Coca rêgne sur fond rouge et néon. Je suppose, á l´intérieur, des frites et
hamburguers surgelés. C´est, nous le constaterons bientôt, encore un préjugé
qui ne coûte rien et ne résistera pas au premier arrêt-pipi.
Suivons les pilônes de métal et leurs guirlandes de fils. Évitons les lieux
communs oú il est question de portées musicales. Je somnole pendant que mes
compagnons bavardent dans la chaleur sèche de cette fin d´aprés-midi. Ma copine
a une fixation sur les cigognes. C´est d´ailleurs un peu ce qui nous a rapprochés,
au siècle dernier, en Kabylie. C´est aujourd´hui ce qui va peut-être nous
valoir un accident, car sur presque tous les pilônes trônent d´immenses nids et
Claudine gesticule en lâchant le volant.
Non seulement maizencore, le gouvernement espagnol a décidé de planter le long
de la route de bizarres portes-nids métalliques de science-fiction, rapidement
adoptés par ces longs oiseaux frileux. Je pense á mon enfance, aux minarets du
Maroc, aux vieux remparts du Chellah. Je pense á ma vie ponctuée de cigognes,
mais aussi de plages, de palmiers, de jasmin, de gãteaux trop sucrés. Je
re-somnole.
Tout á coup, exclamations!
Au-delá du grand et aristocratique portail blanc fignolé de rehauts rouge
sang d´une finca, portail que nous osons
pousser discrètement, des dizaines de vieux oliviers tourmentés par les siècles
sont autant de reposoirs pour une foule de cigognes. Elles tournent dans la
lumière finissante, pesanment, se posent au bord des nids ou marchent á pas
mesurés dans l´allée centrale, tels de paisibles propriétaires terriens en
tenue de mariage, discutant, mains dans le dos, cueillettes et rapports.
Nous avançons sans bruit, bras collés au corps. Buenas noches! Nous sommes
des amis, nous ne voulons pas vous déranger. Faites comme si nous n´existions
pas. Parfois deux ou trois oiseaux s´envolent, dessinant paresseusement un
nouveau cercle dans le ciel rose et atérrissent quelques mètres plus loin.
Moins par peur que pour dire Vous ne nous interessez pas. Gardez vos distances!
Est-ce ici le grand congrés sorti de l´imagination d´une Selma Lagerloff
ibérique ? Ou vont-elles enfin se révolter contre l´envahisseur de leurs
espaces, remake de Hitchcock ?
Longtemps trois bipèdes qui ne savent voler que dans leurs désirs réprimés,
longtemps restent imobiles, jusqu´á ce que la nuit les chasse vers leurs
semblables. Silencieuse, la voiture nous emporte, poursuivie par le claquemnent
agacé de cent becs rassurant leurs enfants. N´ayez pas peur, seulement des
touristes un peu niais, mais pas dangereux. Ils n´ont même pas pris de
photos...
Caceres nous attend. Connaissez-vous Caceres?
Dimitri Ganzelevitch
Salvador, 12 Avril 2003.
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